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septembre, 2024

Communication digitale et effritement des frontières interpersonnelles

Rédigé par : 

Marie-Joëlle Marcil, intervenante

 Fondamentalement, l’humain recherche la connexion avec les autres. Nos façons de communiquer ont largement évolué, passant des lettres postales, aux textos et aux différentes plateformes de communication. La rapidité et le volume de messages que nous recevons dans l’ère numérique sont sans précédent. Ça soulève la question : sommes-nous adaptés pour conjuguer avec ces interactions continuelles, rapides, et abondantes ? Explorons ensemble l’impact de l’évolution de la communication numérique sur l’éclatement des frontières interpersonnelles.

Boom des messages avec le boom technologique

L’évolution de nos interactions sociales est fascinante. Il y a quelques décennies, des périodes claires d’inaccessibilité se définissaient lorsque nous étions à l’extérieur de la maison : à l’épicerie ou en voyage ? nous n’étions pas rejoignables. Ces coupures étaient clairement délimitées dans le temps, offrant une période de répit. Aujourd’hui, ces frontières n’existent plus naturellement : nous devons consciemment les instaurer(ex : mettre notre téléphone en mode ne pas dérangé).

L’introduction des téléphones cellulaires a initié une nouvelle ère dans nos communications. On se rappellera, dans les années 2000, rédiger un texto prenait du temps avec les claviers à touches numériques (pour écrire « allô », il fallait appuyer 13 fois sur des touches). Il fallait être motivé à écrire un message en utilisant les boutons chiffrés de nos téléphones. Par la suite, les changements dans la communication ont été exponentiels.

En 2000, une personne envoyait/recevait en moyenne 35 textos par mois. En 2011, ce chiffre atteignait près de 40 textos par jour, et chez les jeunes adultes, 50 textos par jour.[1] Aujourd’hui, ces chiffres explosent avec la venue des applications intégrant la communication comme Messenger, Twitter, Instagram, Snapchat, Discord, Teams, Whatsapp, Reddit, etc. Ceci contribue à l’explosion du volume de messages que nous recevons. Pour vous donner une idée de grandeur, quotidiennement, 23 milliards textos, 50 milliards messages WhatsApp, 50 milliards messages Facebook, 5 milliards de Snapchat sont envoyés/reçus.[2] Ça en fait des messages reçus!

Effritement des frontières par la culture de l’instantanée

Les téléphones intelligents permettant de communiquer à tout moment, de n’importe où avec n’importe qui à travers le monde. Par conséquent, nous sommes accessibles en permanence, disponibles à toute heure du jour et de la nuit. Cette disponibilité instantanée crée une attente implicite que chacun est toujours prêt à lire et à répondre aux messages instantanément, similaire à une conversation en face-à-face. Et ce, peu importe l’urgence du message.

Les notifications de lecture sur certaines plateformes ajoutent une pression supplémentaire pour une réponse immédiate dès que le message est vu. De plus, le statut « en ligne » qu’affichent certaines applications, informe les autres de notre disponibilité, intensifiant ainsi cette attente de réponse rapide.

D’ailleurs, il n’est pas rare de jongler entre plusieurs conversations simultanées sur différentes applications avec une même personne, créant parfois un sentiment d’être coincé à devoir répondre à tous les messages de cette personne en même temps.

Ne pas répondre immédiatement aux messages que nous recevons peut amener un sentiment d’avoir pris du retard et un sentiment de ne pas avoir respecté les « règles » de la communication. Ce sentiment de culpabilité peut plonger l’autre dans la justification de son message « tardif ».

Left on read : questionnements et anxiété à deux sens

L’absence d’une réponse rapide peut susciter de l’anxiété chez l’émetteur du message, qui s’interroge sur la réception de son message et sur l’interprétation qu’en fait le destinataire. D’un côté, pour l’émetteur du message, ne pas recevoir de réponse rapidement ou être lu sans réponse peut engendrer de l’anxiété et une spirale de questionnements: « est-ce que mon message a mal été interprété?»; « Je pense que je n’aurais pas dû mettre un point à la fin de mon message… » (oui, la science montre que les textos avec un point sont perçus comme moins sincères[3] et abrupt[4]), « Peut-être que j’aurais dû utiliser un emoji pour clarifier mon ton ? »; « Peut-être qu’il ne m’apprécie pas? » …

De l’autre côté, le receveur du message peut craindre que répondre des heures après l’envoi du message soit mal perçu, et encore plus s’il le lit sans y répondre, donnant l’impression de ne pas accorder suffisamment d’importance à la conversation. En fait, un message répondu quelques heures après son envoie est perçu comme moins enthousiaste[5] et est perçu comme un manque d’attention à la conversion[6]. De plus, le receveur peut craindre que de répondre au message reçu ouvre la porte à une conversation plus intensive, de laquelle il n’est pas disposé à avoir.

Épuisement numérique : attentes irréalistes de l’instantanéité

La gestion des multiples notifications/messages peut devenir écrasante, entraînant un sentiment d’être dépassé, et de culpabilité lorsque les réponses ne sont pas immédiates. Certains peuvent choisir d’éviter de regarder leurs messages, puisque ça génère des sentiments négatifs. Ainsi, les messages qui s’accumulent nécessitent encore plus d’efforts pour les lire et y répondre. Répondre à toutes les conversations devient alors une tâche, souvent accompagnée d’un poids émotionnel et d’une auto-critique pour avoir pris trop de temps à répondre (ex : je ne suis pas un bon ami pour avoir pris autant de temps à répondre…).

L’émergence de la communication numérique a nourri des attentes irréalistes en matière de disponibilité et de réactivité. La rapidité avec laquelle nous sommes désormais capables de communiquer à créer un nouveau paradigme où les délais de réponse se mesurent souvent en minutes.

Ces attentes insoutenables contribuent à l’épuisement numérique, où répondre à toutes les notifications engendre du stress. Le stress résultant de cette constante sollicitation peut nuire à notre bien-être mental et à la qualité de nos interactions, car elle réduit souvent la communication à une série de réponses rapides et superficielles (ex : on like le message plutôt que d’y répondre, on envoie un gif, etc., …) plutôt qu’à des échanges réfléchis et significatifs.

Conclusion

Les téléphones intelligents ont révolutionné la manière dont nous communiquons, rendant notre disponibilité continuelle et ininterrompue, et le large afflux des échanges naturels. Il est bien de prendre un pas de recul et de prendre conscience de l’effritement des frontières interpersonnelles qui peut venir avec la communication moderne. La communication numérique nécessite une gestion consciente pour éviter l’épuisement digitale et maintenir des interactions numériques saines et équilibrées.

 

 

 

Références :

[1] https://www.pewresearch.org/internet/2011/09/19/how-americans-use-text-messaging/

[2] https://www.sellcell.com/blog/how-many-text-messages-are-sent-a-day-2023-statistics/

[3] Gunraj, D. N., Drumm-Hewitt, A. M., Dashow, E. M., Upadhyay, S. S. N., & Klin, C. M. (2016). Texting insincerely: The role of the period in text messaging. Computers in Human Behavior, 55, 1067-1075. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0747563215302181

[4] Houghton, K. J., Upadhyay, S. S. N., & Klin, C. M. (2018). Punctuation in text messages may convey abruptness. Period. Computers in Human Behavior, 80, 112-121. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0747563217306192

[5] Phillips, N. (2023). Exploring the use of time delay as a pragmatic cue in text messaging. https://commons.lib.jmu.edu/masters202029/248/

[6] Lee, H. P. H., Chiang, Y. S., Chou, Y. L., Lin, K. P., & Chang, Y. J. (2023). What makes IM users (un) responsive: An empirical investigation for understanding IM responsiveness. International Journal of Human-Computer Studies, 172, 102983.

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