Dans les dernières années, nous avons beaucoup entendu parler d’une « crise de la masculinité », soit le fait que les hommes ont perdu leurs repères et qu’il est de plus en plus difficile pour eux d’exprimer leur masculinité en société. Effectivement, les hommes sont confrontés à plusieurs changements de société; d’un côté, des traits comme l’agressivité, la compétition et la domination ont été valorisés chez eux par le passé, alors que maintenant, ces caractéristiques sont de plus en plus réprimandées. D’un autre côté, des traits comme l’empathie, la bienveillance et l’expression de sa tristesse, qui ont été dévalorisés chez les hommes, puisqu’ils sont vus comme « féminins » sont maintenant encouragés. Cet article vise donc à définir la transformation de la masculinité et ses impacts.
Un modèle de masculinité qui persiste
Aujourd’hui, il peut être déstabilisant pour les hommes d’être confrontés à des changements dans la perspective de la masculinité, qui persiste depuis l’Antiquité. En effet, l’homme de la Grèce antique d’il y a plus de 3000 ans ressentait cette même pression moderne d’être suffisamment masculin; les héros grecs étaient dépeints comme très masculins, musclés et dominants. Il est vrai que l’importance de la domination et de la force mâles a fluctué au cours des époques, mais elle a tout de même perduré jusqu’à aujourd’hui. Par contre, elle est de plus en plus dénoncée et remise en question, ce qui fait que plusieurs se sentent confus et résistants face à la voir changer.
La masculinité toxique; de quoi parle-t-on?
Cette masculinité traditionnelle, où les hommes doivent être dominants et agressifs est de plus en plus dénoncée et qualifiée de « toxique ». L’expression « masculinité toxique » peut sembler blessante, mais elle illustre le fait qu’une masculinité autoritaire qui interdit l’expression de ses émotions est une infection. Cette « infection » se transmettrait de père en fils, où un père détaché, autoritaire et colérique construirait des fils qui vont agir de la même manière une fois adultes à l’endroit de leurs propres fils, qui vont eux aussi agir ainsi devant leurs fils,etc, ce qui crée un cycle d’hommes « toxiques » à travers les générations. Il est important de souligner que les hommes plus agressifs et dominants dans leurs relations auraient manqué d’un modèle masculin doux, tendre et à l’écoute dans leur enfance. Ainsi, l’absence d’un père, qu’elle soit physique ou émotionnelle, contribuerait à la construction d’hommes distants, colériques et détachés de leurs émotions. Nous pouvons donc comprendre pourquoi ce modèle parental est de plus en plus dénoncé.
Comment la masculinité affecte-t-elle l’expression des émotions?
Tel que mentionné plus haut, le fait d’exprimer ses émotions est perçu comme un trait féminin. La masculinité implique un rejet de tout ce qui est typiquement féminin, ce qui fait que de nombreux hommes ne se permettent pas de vivre leurs émotions autres que la colère, qui est perçue comme masculine. De cette manière, il est attendu que les hommes ne s’ouvrent pas aux autres
à propos des problèmes auxquels ils font face ; c’est ce qui se nomme l’évitement de l’intimité affective. Ceci est explicable par l’existence du stéréotype de l’homme fort et indépendant, qui n’a pas besoin des autres et qui peut tout surmonter par lui-même. Ces attentes à l’endroit des hommes ont plusieurs conséquences sur leur bien-être. Effectivement, l’évitement de l’intimité affective peut réduire la solidité des relations interpersonnelles, soit avec les amis, la famille et les partenaires amoureux·euses.
Les conséquences chez les hommes
Cette inhibition à s’ouvrir aux autres a également des impacts sur la demande d’aide psychologique des hommes. Effectivement, il est rapporté que les hommes ont moins souvent recours à des services d’aide en santé mentale que les femmes. Cela est explicable par le fait que demander de l’aide est perçu comme féminin, puisqu’en suivi thérapeutique, il est demandé d’exprimer ses
émotions et de faire preuve de vulnérabilité, des traits typiquement non-masculins. Le fait que certains hommes ont tendance à éviter l’intimité émotionnelle dans leurs relations affecte également la relation avec les intervenant·e·s, avec qui les hommes ont moins tendance à se confier sur leurs difficultés. De cette manière, le fait de ne pas s’ouvrir aux autres et de garder ses émotions pour soi est associé à de la détresse psychologique. La masculinité toxique a également d’autres conséquences sur le vécu des hommes. En effet, les hommes ont moins tendance à dénoncer les situations de violence conjugale et à se reconnaître victimes de celle-ci. Aussi les hommes ont trois fois plus recours au suicide que les femmes vu leur tendance à intérioriser les difficultés qu’ils vivent sans solliciter de l’aide.
Conclusion
À la lumière de cet article, j’espère avoir pu éclairer la remise en question du modèle masculin « traditionnel » et ses impacts sur le bien-être et la santé mentale des hommes aujourd’hui. Il est important de garder en tête que plusieurs hommes peuvent se retrouver confus, dépourvus ou frustrés face aux transformations sociétales qui s’opèrent.
Références
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