Je suis un homme, je n’ai pas besoin d’aide

Je me suis longtemps répété cette phrase lorsque j’allais moins bien dans ma vie, et je ne suis certainement pas le seul. Bien que je travaille dans la relation d’aide, j’ai encore cette barrière en moi m’empêchant de m’exprimer lorsque j’ai besoin des autres. Mais pourquoi c’est difficile pour un homme d’avouer son mal-être même à ses proches ?
Comme vous le savez peut-être, l’ALPABEM offre 10 conférences par année ayant comme sujet les différents enjeux touchant à la santé mentale. Pour commencer la saison, nous avons reçu l’animateur de radio et chroniqueur de télévision MC Gilles, de son vrai nom Dave-Éric Ouellet, pour parler de la demande d’aide chez les hommes. Durant la conférence, il a mentionné qu’il y a plusieurs années, il a été hospitalisé car il “avait touché le fond” et ne voyait plus la lumière. Sans entrer trop dans les détails, il disait qu’il ne voyait plus d’espoir, qu’il était persuadé que personne ne pouvait l’aider et qu’il était faible de ne pas pouvoir s’en sortir seul.
Son témoignage m’a beaucoup fait réfléchir sur moi-même et sur pourquoi j’ai un blocage quand je vais moins bien. C’est quand même hypocrite de ma part : je travaille dans un organisme en santé mentale, j’encourage l’autre à s’ouvrir quand le bobo est trop douloureux, à venir chercher l’aide des professionnels ou de leurs proches, mais moi-même je m’empêche de me montrer vulnérable devant les autres.

Ce n’est pas nouveau que la société voit l’homme comme étant stoïque, en contrôle, fort, invincible, etc. Lorsque vous pensez à un “vrai” homme, qui avez-vous en tête ? Pour ma part, je pense à Clint Eastwood et James Bond. Ces modèles, provenant souvent de notre enfance, ont depuis longtemps influencé l’image de la masculinité et inconsciemment, nous l’avons internalisé. Dans les situations difficiles, nous avons appris à serrer les dents et à continuer d’aller de l’avant, coûte que coûte. Lorsqu’elles deviennent trop envahissantes, la consommation de substances, comme l’alcool ou les drogues, devient souvent la solution. Mal adapté, mais une solution quand même.
La santé mentale est un sujet très tabou pour l’homme. La peur d’être perçu comme faible parce qu’on souffre de dépression, par exemple, fait en sorte que les hommes vont beaucoup moins consulter, ou vont attendre au dernier moment pour le faire. Avouer que l’on pourrait avoir besoin d’aide vient attaquer l’ego que nous avons construit de nous-même. Initialement conçu pour nous protéger, notre égo vient ici mettre des bâtons dans les roues.

Ce n’est pas pour rien que le taux de suicide au Québec est 3 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes : quand ça va mal, les hommes se renferment, attendent d’être au bout du rouleau et la seule solution qu’ils voient est d’en finir avec tout.

Je vous pose la question : c’est quoi être fort ? Dans les années 1700, c’était d’être capable de bûcher du bois pour survivre à l’hiver en même temps que d’être capable de chasser le souper et de défendre le pays contre les Anglais. L’homme avait le rôle de pourvoyeur et de protecteur de sa famille, ne laissant pratiquement aucune place à l’émotivité. Bien que notre réalité ait fortement changé depuis, le fond reste le même : un homme, ça fait ce qu’il faut pour surmonter les obstacles et ne fuit pas devant l’adversité.
Avec ce qu’on vient de nommer, est-ce qu’être fort veut dire fuir nos émotions et enterrer notre mal-être ? Ou ça serait plutôt d’attaquer nos problèmes en pleine face et de prendre les vrais moyens pour les régler ? Lorsque vous déménagez, personne ne vous perçoit comme faible si vous dites “Viens m’aider, on va monter le frigo”. C’est le même principe lorsque vous dites à un ami ou un intervenant que ça va moins bien. Personne ne vous dira “ Ben là, t’es capable de t’en sortir seul, y’a rien là !” ou bien “ Hey tu commences à être lourd avec tes problèmes, je préfère que tu arrêtes de m’en parler.”

Même qu’à l’inverse, en demandant à un autre homme que vous avez besoin de parler, l’autre va se sentir important et prendra son rôle masculin de protecteur et de sauveur. Quoi de plus valorisant que de se faire dire “J’ai besoin de toi” ? Chacun est gagnant dans l’affaire : vous vous sentez mieux de vous être confié, et l’autre se sentira important. Votre relation sera plus forte et qui sait, peut-être que l’autre sera encouragé à s’ouvrir à vous aussi.

Je vais quand même vous l’accorder, ce n’est pas facile de s’exprimer quand nous ne sommes pas habitués. Oui ça fait peur, oui on ne sait pas trop comment faire, mais croyez-moi que l’effort en vaut la peine. Au bout du compte, c’est peut-être votre vie que vous sauvez en vous confiant à quelqu’un d’autre.

Mais que se passe-t-il avec la masculinité?

Dans les dernières années, nous avons beaucoup entendu parler d’une « crise de la masculinité », soit le fait que les hommes ont perdu leurs repères et qu’il est de plus en plus difficile pour eux d’exprimer leur masculinité en société. Effectivement, les hommes sont confrontés à plusieurs changements de société; d’un côté, des traits comme l’agressivité, la compétition et la domination ont été valorisés chez eux par le passé, alors que maintenant, ces caractéristiques sont de plus en plus réprimandées. D’un autre côté, des traits comme l’empathie, la bienveillance et l’expression de sa tristesse, qui ont été dévalorisés chez les hommes, puisqu’ils sont vus comme « féminins » sont maintenant encouragés. Cet article vise donc à définir la transformation de la masculinité et ses impacts.

Un modèle de masculinité qui persiste

Aujourd’hui, il peut être déstabilisant pour les hommes d’être confrontés à des changements dans la perspective de la masculinité, qui persiste depuis l’Antiquité. En effet, l’homme de la Grèce antique d’il y a plus de 3000 ans ressentait cette même pression moderne d’être suffisamment masculin; les héros grecs étaient dépeints comme très masculins, musclés et dominants. Il est vrai que l’importance de la domination et de la force mâles a fluctué au cours des époques, mais elle a tout de même perduré jusqu’à aujourd’hui. Par contre, elle est de plus en plus dénoncée et remise en question, ce qui fait que plusieurs se sentent confus et résistants face à la voir changer.

La masculinité toxique; de quoi parle-t-on?

Cette masculinité traditionnelle, où les hommes doivent être dominants et agressifs est de plus en plus dénoncée et qualifiée de « toxique ». L’expression « masculinité toxique » peut sembler blessante, mais elle illustre le fait qu’une masculinité autoritaire qui interdit l’expression de ses émotions est une infection. Cette « infection » se transmettrait de père en fils, où un père détaché, autoritaire et colérique construirait des fils qui vont agir de la même manière une fois adultes à l’endroit de leurs propres fils, qui vont eux aussi agir ainsi devant leurs fils,etc, ce qui crée un cycle d’hommes « toxiques » à travers les générations. Il est important de souligner que les hommes plus agressifs et dominants dans leurs relations auraient manqué d’un modèle masculin doux, tendre et à l’écoute dans leur enfance. Ainsi, l’absence d’un père, qu’elle soit physique ou émotionnelle, contribuerait à la construction d’hommes distants, colériques et détachés de leurs émotions. Nous pouvons donc comprendre pourquoi ce modèle parental est de plus en plus dénoncé.

Comment la masculinité affecte-t-elle l’expression des émotions?

Tel que mentionné plus haut, le fait d’exprimer ses émotions est perçu comme un trait féminin. La masculinité implique un rejet de tout ce qui est typiquement féminin, ce qui fait que de nombreux hommes ne se permettent pas de vivre leurs émotions autres que la colère, qui est perçue comme masculine. De cette manière, il est attendu que les hommes ne s’ouvrent pas aux autres
à propos des problèmes auxquels ils font face ; c’est ce qui se nomme l’évitement de l’intimité affective. Ceci est explicable par l’existence du stéréotype de l’homme fort et indépendant, qui n’a pas besoin des autres et qui peut tout surmonter par lui-même. Ces attentes à l’endroit des hommes ont plusieurs conséquences sur leur bien-être. Effectivement, l’évitement de l’intimité affective peut réduire la solidité des relations interpersonnelles, soit avec les amis, la famille et les partenaires amoureux·euses.

Les conséquences chez les hommes

Cette inhibition à s’ouvrir aux autres a également des impacts sur la demande d’aide psychologique des hommes. Effectivement, il est rapporté que les hommes ont moins souvent recours à des services d’aide en santé mentale que les femmes. Cela est explicable par le fait que demander de l’aide est perçu comme féminin, puisqu’en suivi thérapeutique, il est demandé d’exprimer ses
émotions et de faire preuve de vulnérabilité, des traits typiquement non-masculins. Le fait que certains hommes ont tendance à éviter l’intimité émotionnelle dans leurs relations affecte également la relation avec les intervenant·e·s, avec qui les hommes ont moins tendance à se confier sur leurs difficultés. De cette manière, le fait de ne pas s’ouvrir aux autres et de garder ses émotions pour soi est associé à de la détresse psychologique. La masculinité toxique a également d’autres conséquences sur le vécu des hommes. En effet, les hommes ont moins tendance à dénoncer les situations de violence conjugale et à se reconnaître victimes de celle-ci. Aussi les hommes ont trois fois plus recours au suicide que les femmes vu leur tendance à intérioriser les difficultés qu’ils vivent sans solliciter de l’aide.

Conclusion

À la lumière de cet article, j’espère avoir pu éclairer la remise en question du modèle masculin « traditionnel » et ses impacts sur le bien-être et la santé mentale des hommes aujourd’hui. Il est important de garder en tête que plusieurs hommes peuvent se retrouver confus, dépourvus ou frustrés face aux transformations sociétales qui s’opèrent.

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