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septembre, 2025

Les jeunes adultes : seuls ensembles

Rédigé par : 

Marie-Joëlle Marcil

Lorsqu’on aborde la solitude des jeunes, il n’est pas rare d’entendre des phrases comme :
« C’est normal qu’ils se sentent seuls, ils passent leur vie sur leur téléphone! »

Ce raisonnement, bien que répandu, suggère que leur solitude résulte principalement d’un choix personnel, d’un manque d’efforts et de volonté pour créer de « vrais » liens. Pourtant, cette lecture, intuitive en apparence, tend à simplifier un phénomène bien plus complexe.

Et si l’on prenait un peu de recul en examinant la solitude comme un reflet d’enjeux plus larges, plutôt qu’un simple problème individuel?

Se sentir seul

La solitude est un sentiment subjectif : « je me sens seul ». Elle se distingue de l’isolement social, qui est l’absence observable et objective de liens sociaux (par exemple : le nombre de relations ou la fréquence des contacts sociaux). Ainsi, une personne peut être entourée, mais tout de même se sentir seule

Il y a aussi une distinction entre la solitude choisie, qui est une brève expérience désirée, bénéfique et ressourçante où une personne se retire volontairement; et la solitude subie qui est une expérience non-volontaire. C’est cette solitude plus souffrante que nous abordons aujourd’hui.

Un enjeu de santé publique

La solitude n’est pas seulement pesante à vivre. Elle entraîne des répercussions sérieuses sur la santé physique et mentale. En effet, elle augmente le risque de dépression, d’anxiété, de maladies cardiaques, et même de mortalité. Les chercheurs estiment que la solitude chronique entraînerait des conséquences aussi importantes sur la santé que de fumer 15 cigarettes par jour.
Face à cet enjeu, le Royaume-Uni a créé un ministère de la Solitude en 2018, suivi par le Japon en 2021. Ces décisions politiques reconnaissent que la solitude n’est pas qu’une affaire du domaine privée : elle prend racine dans le tissu social.

Un phénomène en progression chez les jeunes adultes

Les chercheurs ont constaté que le sentiment de solitude chez les jeunes adultes est en constante augmentation depuis 40 ans. Au Canada, plus d’un jeune adulte sur 10 affirme se sentir toujours ou souvent seuls. C’est d’ailleurs chez les 25-34 ans qu’on observe le plus haut taux de solitude.
Ces statistiques nous invitent à élargir notre regard : la solitude chez les jeunes adultes n’est pas une exception, mais une expérience largement partagée.

Un sentiment qui isole… et culpabilise

Beaucoup de jeunes croient que s’ils se sentent seuls, c’est qu’ils ne font pas assez d’efforts pour socialiser, ou encore qu’ils manquent de compétences sociales. Ces critiques internes sont d’autant plus renforcées avec le discours ambiant culpabilisant, du genre :
« S’ils lâchaient leur téléphone, ils créeraient des liens plus authentiques. »

Or, cette vision peut alimenter le sentiment de ne pas être adéquat, et peut générer de la honte, ce qui en retour, accentue encore plus la solitude.
Alors que des facteurs individuels jouent un rôle, les facteurs sociaux et structurels doivent être considérés, afin d’éviter de surindividualiser un mal collectif.

Pourquoi tant de jeunes se sentent seuls?

La solitude des jeunes est multifactorielle. Plusieurs dynamiques personnelles, sociales et culturelles peuvent y contribuer, dont :

Une perception pessimiste de la bienveillance des autres : Le rapport mondial sur le bonheur soulève que les jeunes perçoivent souvent les autres comme moins bienveillants qu’ils ne le sont en réalité. Les jeunes seraient donc moins enclins à prendre des risques sociaux, nécessaires pour tisser des liens, peur d’être jugé ou rejeté. Il faut donc se questionner : mais qu’est-ce qui alimente cette méfiance sociale?

Une pression sociale et comparaison constante: Nous sommes dans une ère où l’homme n’a jamais été autant exposé à la vie et aux réussites des autres via les réseaux sociaux. En effet, les réseaux sociaux offrent une vitrine sur la vie des autres, souvent embellie et fragmentaire. Cette exposition quotidienne à des images de succès, de bonheur ou de perfection peut amener une personne à sentir qu’elle n’arrive pas à répondre aux attentes implicites véhiculées, que ce soit en lien avec l’apparence, les accomplissements ou les relations. Ceci peut l’amener à sentir qu’un fossé se creuse entre elle et les autres, puisqu’elle perçoit un décalage entre sa vie et celle des autres.

Une perte de repères et de sens : Certains peuvent avoir de la difficulté à donner du sens à leur avenir, à se projeter ou à trouver une place dans un monde qui évolue rapidement (climat, emploi, logement, …).

Des barrières sociales : Les inégalités, la discrimination, le racisme et les stigmatisations renforcent le sentiment de solitude de certains jeunes.

La solitude, sous plusieurs visages

La solitude peut émerger d’un sentiment de se sentir « déconnecté » de notre entourage, de la société, de notre environnement, et de nous-même. Cette expérience de se sentir seul est vécue pour plusieurs comme avoir l’impression de ne pas compter, de ne pas avoir sa place, de ne pas être à sa place, de ne pas se sentir compris, de ne pas se sentir entendu, …

La solitude n’est pas une expérience uniforme. Elle peut prendre plusieurs visages, par exemple :

• Sur le plan relationnel: ne pas avoir de personnes de confiance à qui se confier sans jugement;
• Sur le plan existentiel: se sentir inutile, perdu, sans direction;
• Sur le plan social et politique : se sentir exclu ou incompris autour des enjeux sociaux et politiques (ex. préoccupations sur les enjeux climatiques)

Certains cumulent plusieurs formes de solitude. Une personne peut ainsi ressentir un vide dans ses relations, se sentir isolée dans ses idées ou ses valeurs, vivre une grande insécurité quant à son avenir, et sentir qu’elle n’a personne avec qui en parler. Ce cumul rend l’expérience encore plus lourde à porter.

Et maintenant ? Vers des solutions individuelles et collectives

Lorsqu’on voit la solitude comme un problème individuel, il est logique que les solutions proposées soient uniquement centrées sur l’individu : modifier ses comportements et ses pensées, sortir de sa zone de confort, oser aller vers les autres. Ces conseils peuvent être utiles, mais ne suffisent pas.
Si la solitude est aussi enracinée dans nos environnements sociaux, alors les solutions doivent être à la fois individuelles et collectives. Cela ne veut pas dire d’ignorer les approches individuelles, mais plutôt d’élargir les solutions pour agir efficacement et de façon durable dans le temps.

Quelques pistes d’action collectives:

• Promouvoir une culture de l’écoute, la bienveillance, l’ouverture et le respect des différences, tant dans les familles que les institutions;
• Investir dans des espaces communautaires accessibles, accueillants et sécurisants où les jeunes peuvent se rassembler, partager et créer des liens;
• Valoriser les projets portés par les jeunes;
• Soutenir les initiatives qui favorisent les liens entre voisins, collègues ou citoyens, dans une perspective d’inclusion, de solidarité et de reconnaissance mutuelle.

La solitude des jeunes ne relève pas simplement d’un manque de volonté individuelle ou d’habiletés sociales, comme on le dépeint trop souvent. C’est un phénomène complexe, qui s’enracine plus profondément dans nos dynamiques sociales.
Briser la solitude c’est l’affaire de tous : des individus, des pairs, des familles, des milieux communautaires et des institutions. Notre capacité collective à recréer et valoriser les espaces de liens, de reconnaissance et d’écoute pourrait contribuer à soulager ce « mal du siècle ».

Références

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across the lifespan: A systematic review and thematic synthesis of qualitative studies. International journal of qualitative studies on health and well-being, 18(1), 2223868.
8 Van de Velde, C. (2025). Sociology of loneliness: An introduction. Acta Sociologica,
00016993251330960

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